La Province de Hainaut n’est évidemment pas la province wallonne la plus boisée. Néanmoins, la filière bois n’y est pas inexistante, que du contraire. De la sylviculture, l’exploitation du bois, en passant par sa transformation et son négoce, la forêt hainuyère offre de nombreux atouts; économiques, bien sûr, mais aussi patrimoniaux et touristiques.
Découverte d’une filière
La filière du bois, qu’elle soit hainuyère ou wallonne, se compose d’une multitude d’acteurs. Tous ne sont pas présents dans la province du Hainaut mais, pour bien comprendre comment fonctionne cette filière, il est crucial d’en avoir une vision d’ensemble. L’interdépendance des acteurs étant au cœur de cet écosystème pas comme les autres.
La Filière bois se compose donc des propriétaires forestiers, des gestionnaires, d’entreprises d’exploitation forestière, de marchands de bois, de scieurs, de fabricants de produits finis et semi-finis en bois (meubles, panneaux, éléments de constructions, emballages, objets divers en bois, papiers).1
Trois grandes catégories d’activités se distinguent donc au sein de la filière:
1. La gestion forestière
Active dans la régénération et l’éducation de nos forêts, la gestion forestière a pour objectif général d’assurer une production de bois de qualité, en quantité et durable. Parmi les métiers actifs au sein de la gestion forestière, on peut pointer: ingénieur forestier, garde forestier, expert forestier, pépiniériste, entrepreneur de travaux forestiers, élagueur,…
2. Le processus de transformation du bois
La transformation du bois se répartit en 2 phases: la transformation du bois en elle-même au sein de laquelle on retrouve le sciage, le tranchage, le déroulage, le séchage et l’imprégnation. Un ensemble d’étapes qui visent à préparer le bois pour ses utilisations spécifiques. Ensuite, intervient la seconde transformation du bois qui vient lui apporter une valeur ajoutée. Elle regroupe les fabricants de meubles et de panneaux, les entreprises de fabrication d’éléments de construction (portes, fenêtres, parquets, charpentes, habitations à structure en bois,…), d’emballages en bois (caisserie, paletterie), d’objets divers en bois.
Ce secteur très important compte, en Belgique, principalement des entreprises de taille moyenne à supérieure. On en dénombre 1 211 qui fournissent de l’emploi à 18 625 travailleurs et induisent un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 4 513 milliards d’euros.2
3. Le négoce du bois
Un secteur composé des négociants, des grossistes ou des détaillants qui alimentent en matière première les entreprises, qui effectuent les transformations ultérieures ou qui réalisent les produits finis.
Secteur quelque peu à part, l’industrie papetière fait néanmoins partie intégrante de la filière bois. Elle comprend les industriels de la pâte, du papier et du carton. Ceux-ci apportent de la valeur ajoutée à la matière première qu’ils utilisent à savoir, les sous-produits de l’exploitation forestière (bois d’éclaircie, houppiers,…) et des scieries (plaquettes de scierie).
Un joyau dans la botte
Si au cœur des grandes villes hainuyères, Charleroi, Mons, La Louvière ou Tournai, le potentiel sylvicole du Hainaut ne saute pas aux yeux, il suffit de prendre la direction du sud de la province pour rapidement s’apercevoir que le Hainaut est aussi une province verte. La Botte du Hainaut est, en effet, un territoire particulièrement boisé avec près de 36 % de sa surface occupée par des massifs forestiers selon les chiffres du Réseau wallon de Développement Rural.
Une couverture remarquable car composée à 85 % de chênes sessiles ou pédonculés, un potentiel économique particulièrement important car, aujourd’hui, les spécialistes de la filière bois estiment que 70 % des fûts issus des arbres wallons sont exploités. Les massifs de la Botte du Hainaut représentent donc un vivier économiquement intéressant pour le Hainaut.
Face à ce constat et dans le cadre du Programme wallon de Développement Rural, un GAL (Groupe d’action locale) a vu le jour afin de valoriser la sylviculture et de promouvoir le bois.
Le soutien de l’Union européenne
Le Programme wallon de Développement Rural 2014-2020 a été approuvé par la Commission européenne et le Gouvernement wallon, fin juillet 2015. Disposant d’un budget de 654 millions d’euros, dont 390 millions sont apportés par la Wallonie et les 264 autres par le cofinancement de l’Union européenne, il intègre toute une série de mesures en faveur du développement des activités – agricoles ou non – en milieu rural et soutient des actions de formation, de protection de l’environnement et de la biodiversité ainsi que des initiatives d’associations et de groupes d’action locale. Le PwDR 2014-2020 couvre l’ensemble du territoire wallon.3
En Hainaut, le GAL de la Botte du Hainaut regroupe donc les communes de Beaumont, Chimay, Froidchapelle, Momignies et Sivry-Rance. Par les cibles privilégiées par le GAL, se trouvent les propriétaires et gestionnaires des massifs forestiers publiques. Les actions du GAL se déclinent via quatre grandes thématiques:
- démonstration de bonnes pratiques sylvicoles,
- soutien direct aux travaux forestiers communaux,
- actions en faveur de la régénération et l’image du patrimoine forestier communal de Chimay,
- création d’une vitrine des métiers de la forêt.
La volonté de ce GAL est donc clairement d’améliorer la gestion des massifs forestiers publics avec, comme axe principal, la valorisation du bois de qualité et le développement de techniques sylvicoles plus performantes. A noter que l’impact environnemental n’est pas oublié puisque des travaux sont mis en place afin de protéger l’eau et le sol mais aussi sauvegarder la faune et la flore ainsi que la biodiversité.
Pour mener à bien ces différents projets, le GAL de la Botte du Hainaut dispose d’un budget de près de 300 000 € répartis à parts égales (45 %) entre l’Union européenne et la Région wallonne, le solde étant à la charge des communes partenaires.
Les propriétaires privés aussi concernés
Mais les communes ne sont évidemment pas les seuls acteurs de la forêt du sud de la province, les propriétaires privés sont eux aussi concernés par ce poumon vert. Ils bénéficient, quant à eux, d’un autre projet qui s’appuie sur le Groupement des propriétaires privés de l’Entre-Sambre-et-Meuse (GProFor) mis en place lors de la précédente programmation.4
Leurs principaux partenaires sont:
- le Centre de développement agroforestier de Chimay (CDAF), opérateur de terrain,
- l’asbl Développement des Essences forestières indigènes (DEFI),
- les administrations communales des cinq communes de la Botte du Hainaut,
- le Département de la Nature et des Forêts (DNF).
Du bois pour construire
Débouché particulièrement important pour le bois et pour le bois wallon, le secteur de la construction occupe une place sans cesse plus grande dans le secteur. “La construction bois connait une croissance linéaire”, explique Admon WAJNBLUM, de l’asbl Ligne Bois, un centre d’information et d’animation au sein de la filière bois construction. “Mais on observe grâce, notamment, aux études de Hout Info Bois, que le secteur de la construction en bois est évidemment très lié à la santé du secteur de la construction en général. Lorsque la construction se porte bien, la filière bois se développe et inversement”.
Selon la dernière grande enquête réalisée en 2017-2018 par Hout Info Bois, organisme d’information technique sur le bois dans la construction, en collaboration avec l’Office économique wallon du Bois et Woodwize, il apparaît que:
– avec un total de 135 entreprises de construction, en 2017, le nombre d’entreprises belges de construction en bois n’a jamais été aussi important depuis 2011. Ce nombre diminue légèrement en 2018, mais reste toutefois élevé en comparaison avec les années précédentes. Et, dans le détail géographique, on peut constater que 90 de ces 135 entreprises sont wallonnes;
– si la croissance des entreprises est réelle, celle des nouvelles constructions en bois est plus variable, même si, depuis 2011, la croissance est presque constante. On remarquera néanmoins que 2017 marque un net recul en Wallonie.
Selon, Admon WAJNBLUM, la croissance des constructions en bois n’en reste pas moins importante et la part du bois dans les constructions neuves risque bientôt d’atteindre un certain plafond. “En 2011, la part du bois dans les constructions neuves était de 6,5 % et, selon les derniers chiffres, on peut estimer qu’elle sera aux alentours des 11 % en 2019. En France, par exemple, le bois atteint ± 12 %. Et on peut imaginer que, chez nous, comme ailleurs, elle ne dépassera pas 15 % au vu de l’état du marché et des contraintes liées au bois”, détaille le représentant de Ligne Bois.
Au niveau strictement économique, le chiffre d’affaires des entreprises qui ont répondu au questionnaire Hout Info Bois (± 50 % du secteur) s’établissait à 153 millions d’euros en 2018 pour un total de plus de 2 500 nouvelles maisons en bois. Un résultat qui se répartit presque équitablement entre le Nord et le Sud du pays avec, néanmoins, un léger avantage pour la Wallonie.
Le défi de la sensibilisation
Si le secteur de la construction en bois est donc en croissance, sa progression pourrait être encore plus importante. Surtout en lien avec l’évolution des bonnes pratiques environnementales et la volonté toujours plus forte du secteur de la construction de limiter son impact climatique. Néanmoins, le bois affronte encore quelques obstacles comme celui de la méconnaissance des professionnels du secteur.
“Nous devons sans cesse travailler sur la sensibilisation des acteurs du secteur”, explique Admon WAJNBLUM. “Architectes, entreprises de construction, pouvoirs publics, nous organisons de nombreuses actions afin de mieux faire connaitre la construction bois. Par exemple, même si la situation s’améliore, les écoles d’architecture ne forment pas encore suffisamment leurs étudiants à l’utilisation du bois”.
Le secteur est également pénalisé par les marchés publics et le sacro-saint critère du prix: “Aujourd’hui, les constructions bois sont légèrement plus chères que les constructions classiques. De nombreux pouvoirs publics écartent donc le bois sur ce seul critère. Mais d’autres arguments peuvent et doivent entrer en ligne de compte comme, évidemment, le bilan environnemental positif du bois. Nous incitons donc les communes, par exemple, à adapter leurs cahiers des charges et leurs marchés publics afin que le bois puisse avoir toutes ses chances”.
Coopération européenne
Les enjeux liés à la sylviculture et à la valorisation du bois ne se limitent évidemment pas aux frontières hainuyères ou wallonnes, mais ils touchent aussi les régions voisines comme la Flandre et le Nord de la France. C’est dans ce sens que plusieurs projets européens ont le bois au cœur de leurs préoccupations. Soit via des projets locaux comme via le GAL de la Botte du Hainaut (voir plus haut), soit via des projets transfrontaliers.
Ainsi, le portefeuille de projets “Feel Wood”, décrit en page 11, dont fait partie la Province de Hainaut via Hainaut Développement, s’inscrit dans le cadre du programme européen Interreg V France-Wallonie-Flandre qui développe deux grands axes prioritaires que sont la protection et la valorisation de l’environnement par une gestion intégrée des ressources transfrontalières ainsi que l’amélioration et le soutien à la collaboration transfrontalière en recherche et innovation.5 Un programme qui réunit la France, la Wallonie et la Flandre.
Le portefeuille de projets “Feel Wood” est composé des projets Forêt Pro Bos, Trans Agro Forest, ProFilWood et FormaWood et du projet pilote Feel Wood. 21 structures partenaires y regroupent leurs expertises et compétences dans le but de valoriser la filière au-delà des frontières, de la plantation jusqu’au produit fini et sa mise en œuvre (voir rubrique “De l’autre côté de la frontière”).
Les arbres au service de l’agriculture
Et parmi ces projets, celui intitulé Trans Agro Forest mobilise particulièrement la Province de Hainaut puisqu’il est piloté par Hainaut Développement. Un projet qui vise à protéger les sols et l’eau en réintégrant l’arbre et la haie dans les terres agricoles en fusionnant la sagesse des pratiques anciennes et l’efficacité des techniques modernes.6
“Nous sommes aujourd’hui confrontés à différents phénomènes dont la sécheresse et les agriculteurs en sont évidemment les premières victimes”, explique Pierre WARZEE de l’asbl Ressources naturelles Développement, partenaire du projet Trans Agro Forest.
L’asbl RND mène donc de nombreuses actions auprès des agriculteurs afin de les sensibiliser à l’importance de maintenir et développer la présence d’arbres sur leurs terres. Un travail de persuasion qui se heurte à certaines réticences. “Les agriculteurs voient souvent les arbres comme des obstacles. Notamment dans les grandes exploitations où la mécanisation est particulièrement importante. L’importance des rendements est cruciale et ils ne veulent pas de problèmes de circulation sur leurs exploitations”, explique Pierre WARZEE.
La menace du scolyte
Si, comme on l’a vu dans le domaine de la construction, la filière bois a des atouts, elle n’en demeure pas moins fragile. Et certains périls la menacent comme la pénurie de certaines essences et, depuis plusieurs mois, l’épidémie de scolytes. Une véritable menace pour nos massifs forestiers.
“On estime qu’en 2018, 500 000m³ de bois ont été touchés par ces petits insectes particulièrement attirés par les épicéas”, s’inquiète Pierre WARZEE. Des invasions liées à la hausse des températures qui favorise la prolifération des scolytes. Une fois malade, l’arbre meurt rapidement et son bois peut être altéré à moyen terme. L’abattage systématique des arbres infectés est donc particulièrement recommandé par la Région wallonne. Ce qui, évidemment, fait trembler les exploitants forestiers. Selon Pierre WARZEE “il y a beaucoup de peur chez les propriétaires de parcelles qui voient les pertes s’accumuler”. Conséquence de la crise du scolyte: les stocks de résineux inondent le marché avec comme corolaire, la chute du prix des matières premières et donc, une baisse significative des revenus pour les exploitants.
Les professionnels du secteur, comme les associations à l’image de l’asbl RND, recommandent donc aux exploitants de modifier leurs pratiques et de ne plus baser leur modèle économique sur le seul épicéa, un arbre devenu aujourd’hui trop fragile. “Aujourd’hui, nous recommandons aux propriétaires de massifs forestiers de mélanger les essences”, explique Pierre WARZEE. Avec, comme conseil, de détenir des parcelles avec minimum 3 essences différentes afin de se prémunir d’invasions comme celles des scolytes.
Quel avenir?
Les spécialistes du secteur sont tous unanimes: la filière bois en Wallonie est plongée dans une profonde incertitude: maladie, on l’a vu plus haut avec le scolyte; concurrence venue de l’Est ou de la Chine; disparition des scieries, etc. Les sources d’inquiétudes sont donc nombreuses. Néanmoins, à l’instar de la vie d’un arbre, les cycles dans le bois sont longs. Et, si les points d’interrogations sont nombreux, l’état actuel de la forêt wallonne permet d’assurer l’avenir de la filière bois pour les 15 à 20 années à venir.
Petite embellie en Hainaut: moins présent dans la sylviculture, le Hainaut profite, aujourd’hui, de son patrimoine forestier comme outil d’attrait touristique. Province densément peuplée mais province verte néanmoins, le Hainaut valorise aujourd’hui ses bois et ses forêts. Des poumons verts qui attirent, chaque année, des milliers de visiteurs à la recherche d’un grand bol d’air frais.
Aurélien LAURENT