Avec la pandémie de COVID-19, le secteur de la santé et, plus particulièrement, celui des soins médicaux est plongé dans une crise sans précédent. Une situation qui place, malgré eux, les acteurs de la santé sous le feu des projecteurs. L’occasion, au-delà de la gestion de la crise sanitaire, de s’arrêter sur le paysage hospitalier qui, depuis une dizaine d’années est plongé dans une profonde refonte. Et, notamment, en Hainaut, avec la construction de nouveaux hôpitaux et les fusions entre acteurs majeurs s’enchaînent.
La mutation hospitalière
Celui ou celle qui aurait quitté notre province il y a 10 ans ne reconnaîtrait sans doute plus, ou du moins très difficilement, le paysage hospitalier du Hainaut, tant celui-ci a connu de profondes mutations ces dernières années. Un mouvement qui devrait encore connaître d’importantes évolutions dans les prochains mois.
CHwapi, Marie Curie, Pôle hospitalier universitaire du Coeur du Hainaut: autant de dénominations qui n’existaient pas il y a quelques années encore et qui, aujourd’hui, constituent des acteurs majeurs de la santé en Hainaut.
Le nouveau visage des hôpitaux
Rapprochements, collaborations voire même fusions, le paysage hospitalier et, plus largement, celui de la santé en Hainaut a connu d’importants bouleversements. Sans dresser un panorama exhaustif du secteur, on peut s’attarder sur quelques changements majeurs qui sont à l’image des mutations en Hainaut.
L’un des premiers changements majeurs s’est opéré en Wallonie picarde avec la création du CHwapi, le Centre hospitalier de Wallonie picarde. Un rapprochement des institutions hospitalières du Tournaisis, issues de réseaux différents (mutualités socialistes et chrétiennes, communes et CPAS) et qui a abouti, il y a plus de 10 ans, à la création d’une structure de soins unique à Tournai, forte de plus de 700 lits et 2 700 collaborateurs.
Un rapprochement concrétisé en 2010 par une fusion complète entre les différents hôpitaux. Un CHwapi qui prendra bientôt un nouveau virage via un très ambitieux projet immobilier qui doit voir les trois sites que compte aujourd’hui le centre hospitalier n’en faire plus qu’un sur celui d’Union et ce, à l’horizon 2023. Un chantier colossal avec un budget de 292 millions d’euros et qui se justifie notamment par l’âge avancé du patrimoine immobilier existant.
“La vétusté et la non-conformité de plus de la moitié de notre parc hospitalier ne nous laissent d’autre choix que de construire à neuf plutôt que de tout rénover. Nous capitaliserons ainsi les atouts de la fusion en renforçant l’efficacité médicale de notre structure, de nos équipes et de nos équipements. En l’absence d’un projet de construction, le CHwapi serait contraint de procéder à des rénovations incontournables à court terme. Comme la majeure partie des rénovations porte sur des installations de plus de 30 ans d’âge, il s’agirait de rénovations lourdes qui imposeraient une mise en conformité incendie, un désamiantage et une mise aux normes hospitalières actuelles”, indique ainsi le CHwapi.
A Charleroi aussi, le paysage hospitalier change, et pas qu’un peu. Après la création du nouvel hôpital public Marie Curie de l’ISPPC à Lodelinsart, inauguré en 2014 et qui regroupe sur un seul site ultra-moderne les différentes institutions de soins de l’Intercommunale de Santé public du Pays de Charleroi, ce sera autour de son homologue privé de bientôt posséder un tout nouvel outil.
Et c’est un mastodonte qui est en train de sortir de terre sur le site des “Viviers” à Gilly, situé au croisement du R3 et de la N90. C’est là, sur un site de 17 hectares, que le Grand Hôpital de Charleroi, fruit de la fusion des hôpitaux Saint-Joseph, Sainte-Thérèse, IMTR, Notre-Dame et Reine Fabiola va bientôt pouvoir profiter d’un hôpital, l’un des plus grands de Belgique, d’environ 900 lits. Et les autres chiffres donnent le tournis: 500 millions d’euros d’investissements, 23 salles d’opérations, 4 500 collaborateurs, 146 000 m² de bâtiments, 32 lits de soins intensifs, 10 chambres pour grands brûlés, etc. Soit la plus vaste structure de soins privée de Wallonie et premier employeur privé de la région de Charleroi.
Un chantier qui devrait être terminé en 2024, même si là aussi la Covid est venue perturber les plans. “Le chantier du nouvel hôpital a connu une année chaotique à cause de la crise sanitaire et des deux confinements mais, s’il n’y a pas de nouveaux imprévus, les délais seront maintenus. Fin 2021, le gros-oeuvre devrait être terminé pour tous les bâtiments. Comme le chantier évolue par phase, certaines parties sont plus avancées que d’autres”, indique ainsi le GHdC.
A Mons, dans le Borinage et dans la région du Centre aussi, le paysage des soins de santé évolue. Ainsi en 2016, le CHU Ambroise Paré, le Centre hospitalier psychiatrique le Chêne aux Haies et le CHU Tivoli ont uni leurs compétences pour créer le Pôle hospitalier universitaire (PHU) Coeur du Hainaut. Un rapprochement logique pour des institutions qui avaient déjà noué d’intenses collaborations et qui se retrouvent notamment dans leur partenariat académique avec l’ULB. Un PHU Coeur du Hainaut qui a comme première réalisation concrète la mise sur pied, à Nimy, d’un laboratoire commun.
Et, à La Louvière, où les deux hôpitaux, Tivoli et Jolimont, sont distants d’à peine plus de 500 mètres, les pelleteuses sont aussi entrées en action sur le site du CHU où plusieurs chantiers sont menés de front. Cette modernisation était devenue indispensable pour un site né en 1976.
Ce lifting passera notamment par un nouveau bâtiment, en cours de finalisation, et qui abritera l’essentiel des activités liées aux enfants comme les consultations de pédiatrie, de neuro développement et de pédopsychiatrie. Celui-ci, dont la construction a été rendue possible grâce à un don privé, abritera aussi le Centre de Rééducation ambulatoire et de Logopédie.
En parallèle de ce nouveau bâtiment, un autre chantier, d’une ampleur encore plus grande, a débuté, avec la création d’une toute nouvelle aile, l’aile Coeur du Hainaut. “Ses 3 premiers niveaux accueilleront des services logistiques (lingerie, vestiaires, stérilisation, pharmacie), les nouveaux services d’urgences et quartier opératoire, en liaison directe avec le bâtiment actuel. Les niveaux 4 à 6 hébergeront, quant à eux, 6 nouvelles unités d’hospitalisation, soit 180 lits, offrant plus d’ergonomie et de confort, tant pour les patients que les travailleurs. En connexion avec le triptyque actuel, l’extension permettra de disposer l’ensemble des lits aigus, soit 450 lits sur 3 plateaux de 5 unités avec 150 lits par plateau. Cette configuration permettra de développer des circuits de soins mieux adaptés et des collaborations plus efficaces entre les équipes médicales. Elle permettra aussi la mise en place d’un nouveau concept hôtelier, offrant plus de confort et de bien-être aux patients”, détaille le centre hospitalier louviérois.
Ces métamorphoses permettront de libérer de nouveaux espaces dans le bâtiment historique et d’y mener de profondes rénovations. Un site qui, malgré ses plus de 40 ans, conserve néanmoins toute sa pertinence grâce, notamment, à sa conception en étoile particulièrement innovante à l’époque. Mais, ces chantiers ne sont que les prémices de la petiterévolution qui se négocie actuellement en coulisses. En effet, ce n’est rien de moins que le rapprochement, voire la fusion, des deux voisins historiques Tivoli et Jolimont qui se prépare avec, notamment, le projet de construction de nouvelles infrastructures sur les terrains encore disponibles aux abords du CHU Tivoli. Un rassemblement des deux hôpitaux qui peut sembler logique. En effet, ils font désormais partie du même réseau et les deux sites sont tellement proches l’un de l’autre qu’ils se touchent presque. Ce rapprochement paraissait pourtant encore impossible il y a quelques années à peine, les deux protagonistes étant ancrés dans des obédiences différentes: mutualité socialiste pour Tivoli et pilier catholique pour Jolimont.
Des poids lourds économiques
Si les industries lourdes ont peu à peu quitté le Hainaut et, avec elles des milliers d’emplois, le secteur de la santé, et avec comme locomotives les hôpitaux, est aujourd’hui l’un des acteurs économiques le plus important du Hainaut. Dans la plupart des régions, les hôpitaux, maisons de repos, de soins et autres institutions, sont ainsi devenus les principaux employeurs. Et le processus en cours, qui vise à rapprocher les hôpitaux, voire à les fusionner, accentue encore cette réalité.
Et si le secteur des soins de santé est devenu le principal pourvoyeur d’emplois, les retombées économiques qu’il génère sont aussi particulièrement importantes. Que ce soit dans la production de repas, la blanchisserie, la gestion informatique, le traitement des déchets médicaux ou encore, la logistique. De très nombreuses entreprises, aux profils particulièrement variés, profitent directement des activités hospitalières (cf. Portraits d’entreprises).
Sans parler des importants chantiers de construction lancés aux quatre coins du Hainaut qui mobilisent des dizaines d’entreprises et plusieurs centaines d’employés et ouvriers.
Des hôpitaux en réseaux
Depuis le 1er janvier 2020 et suite à une réforme initiée par le précédent gouvernement fédéral, les hôpitaux belges sont tenus d’intensifier leurs collaborations et de s’organiser en réseaux. Une petite révolution dans un univers médical, parfois transformé en guerre de tranchées, tant la concurrence entre hôpitaux, parfois distants de seulement quelques centaines de mètres, pouvait être sans merci.
Pour le Hainaut, le paysage hospitalier sera divisé en quatre réseaux:
– le réseau HUmani Santé Charleroi Thiérache dont les hôpitaux membres sont le CHU Vésale, le Centre de Santé des Fagnes et le CHU de Charleroi;
– le réseau hospitalier de Charleroi Métropole avec le GHDC et la Clinique Notre-Dame de Grâce;
– le réseau Phare qui rassemble les CHwapi, CHR Haute-Senne, Centre hospitalier de Mouscron et Epicura;
– le réseau qui allie le Pôle hospitalier universitaire Coeur du Hainaut (Tivoli, Ambroise Paré, Chêne aux Haies) et le Groupe Jolimont.
A terme donc, l’organisation des soins devra se baser sur ces réseaux avec de nouvelles réflexions à mettre en place; par exemple, pour certaines activités médicales pointues qui imposeront une concentration des moyens.
L’objectif est aussi de faire disparaître les concurrences locales. A titre d’exemple, à Mons, une coopération accrue devra se mettre en place entre, d’une part le CHU Ambroise Paré (PHU Coeur du Hainaut) et, d’autre part, le CHR Mons-Hainaut (Groupe Jolimont). Avec, à terme, et comme l’indique le CHU Ambroise Paré dans son plan stratégique, la construction d’un nouvel hôpital sur le territoire de Mons: “Sur le territoire de la Ville de Mons, nous défendrons le projet de construire un nouvel hôpital, conçu et occupé conjointement par les équipes du CHU Ambroise Paré et du CHR Mons-Hainaut. Nous proposerons également de mener une réflexion conjointe à propos de l’avenir des sites actuels”.
Notre santé sous observation
Niché au coeur du Bois d’Havré, à Mons, l’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH), telle une vigie, veille sur la santé des plus de 1 340 000 habitants du Hainaut, la province la plus peuplée de Wallonie. Au coeur des missions de cette institution provinciale, on trouve la promotion de la santé avec, en ligne de mire, la réduction des inégalités sociales et territoriales. Avec, comme finalité, le mieux vivre au quotidien pour tous.
A travers de multiples actions qu’il mène souvent en collaboration avec d’autres acteurs, comme les communes, l’OSH tente, avec ses moyens, de lutter contre une situation sanitaire qui reste, encore aujourd’hui, une difficulté majeure en Hainaut. “On le voit régulièrement dans les enquêtes que nous menons ou dans les statistiques officielles, les indicateurs de santé en Hainaut sont généralement moins bons qu’ailleurs; par exemple, en ce qui concerne les maladies chroniques. La prévention et la promotion de la santé doivent donc être, plus que jamais, au coeur de nos préoccupations”, insiste la Directrice de l’OSH, Helen BARTHE BATSALLE.
De mauvais indicateurs qui trouvent, bien souvent, leur origine dans les inégalités de la vie: inégalités en termes de qualité de logement, de revenus, d’accès aux soins et, pour les plus jeunes, inégalités scolaires. C’est donc dans tous ces domaines que l’Observatoire de la Santé mène ses actions. Une approche globale et positive de la santé combinant, à la fois, la responsabilité individuelle et la responsabilité collective. Ceci est d’autant plus important à faire passer dans cette période de crise sanitaire où l’essentiel des moyens dans le domaine de la santé est destiné au monde médical. “Dans le budget global de la santé, le curatif, donc principalement les hôpitaux, occupe la plus grande partie. Et c’est, évidemment, bien normal, surtout face à une crise sans précédent. Mais la promotion de la santé ne doit pas être oubliée. Une prévention et une promotion de la santé qui contribuent aussi à limiter les coûts médicaux futurs”, plaide la directrice de l’OSH. D’autant que le travail mené, en amont, permet aussi de limiter les dégâts lorsqu’une crise survient. Si, lors des différentes vagues du coronavirus, les statistiques de mortalité plaçaient souvent le Hainaut dans le rouge, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une province à forte densité de population. Ces mauvais indicateurs de santé ont, d’une certaine manière, contribué à fragiliser davantage les Hainuyers les plus vulnérables.
Pour l’OSH, les questions liées à la santé doivent être transversales et se fondre dans toutes les politiques. C’est pour cette raison que l’observatoire multiplie les actions, en collaboration avec les acteurs de terrain que sont les villes et communes, les professionnels de la santé, de l’éducation, les travailleurs sociaux, les médias, etc. Avec, dans ces préoccupations, quatre grandes thématiques: manger, bouger, respirer et mieux vivre.
Et, si la crise sanitaire n’a pas fini de produire ses effets, notamment sur le plan psychologique avec de nombreuses craintes concernant les populations les plus isolées ou les plus précarisées, elle a aussi permis de remettre certaines priorités sur le devant de la scène. A titre d’exemple, s’interroger sur l’environnement proposé aux élèves au niveau des toilettes à l’école. Depuis de nombreuses années, nous observons cette problématique dans le cadre de projets autour de la sensibilisation à l’hydratation. “Quand on voit l’état des sanitaires dans certains établissements, il y a urgence à intervenir. Des enfants se retiennent de boire pour ne pas devoir aller aux toilettes, tellement elles sont dans un état épouvantable. La crise et son retour aux principes de base de l’hygiène (lavage des mains) a au moins permis de remettre cette problématique en avant. Il y a maintenant de l’eau, du savon et du papier dans les toilettes: la base de l’hygiène”, constate Helen BARTHE BATSALLE.
Une crise sanitaire qui a, comme ailleurs, aussi impacté les activités de l’Observatoire de la Santé. La plupart des activités ont été adaptées, certains événements ont dû être postposés. La directrice espère voir, après l’été, le retour à une vie “normale”. Le calendrier est, lui, déjà prêt. “En octobre, nous avons notamment prévu un colloque sur les inégalités sociales de santé face à la pandémie et sur les perspectives de l’après-covid. Il était prévu en septembre mais nous l’avons décalé”. En attendant, l’OSH n’est, évidemment, pas inactif et poursuit ses activités sur ces thématiques prioritaires (Manger-Bouger-Respirer). Dans le cadre de cette crise, ses équipes participent notamment aux campagnes de sensibilisation à la vaccination contre la Covid-19. Un vaccin synonyme -tous l’espèrent à l’OSH- de porte de sortie à cette crise qui n’en finit plus.
La formation au cœur de l’avenir
L’avenir de la santé en Hainaut c’est aussi, évidemment, la formation de celles et ceux qui y occuperont une place centrale dans les années à venir: médecins, infirmiers, cadres de santé, professions paramédicales, etc. Autant d’acteurs qui peuvent trouver, en Hainaut, des formations adaptées à leur future carrière professionnelle.
Et ces derniers mois, le Hainaut a avancé une nouvelle revendication au sein du paysage de l’enseignement supérieur médical: la possibilité pour l’UMONS d’organiser un Master en médecine. En effet, aujourd’hui, l’université doit se limiter au Bachelier. Ce qui oblige les étudiants qui viennent se former au sein de la Faculté de Médecine à quitter la province pour poursuivre leur parcours, soit vers l’ULB, à Bruxelles, soit vers l’UCLouvain, à Louvain-la-Neuve soit, mais c’est plus rare, vers l’ULg, à Liège, avec, comme conséquence, qu’un certain nombre d’entre eux ne reviennent pas par la suite en Hainaut pour y exercer; accentuant ainsi la pénurie de médecins généralistes et de spécialistes dont est victime la province, alors que les indicateurs de santé indiquent clairement que le Hainaut reste à la traine de façon générale, dans le domaine de la santé, détenant le triste record belge du taux de mortalité le plus élevé.
“Le moment est donc venu de revendiquer le Master en médecine pour l’UMONS et sa Faculté de Médecine et Pharmacie, revendication émanant de manière pressante des responsables de la province du Hainaut, particulièrement des milieux hospitaliers”, indique l’université.
Et, si au sein de la province, un consensus politique semble se dessiner, la décision devra être prise à un autre niveau, celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles, sur proposition de l’ARES, l’Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur. Une revendication qui devra trouver sa place dans un paysage de l’enseignement supérieur en perpétuelle mutation et où les rivalités et conflits de territoires interfèrent souvent dans les débats.
Aurélien LAURENT