Avec comme épicentre l’aéroport de Charleroi, la province du Hainaut fait figure de leader wallon du secteur aéronautique. Les entreprises, grandes ou petites, actives dans le domaine y sont particulièrement nombreuses et, malgré les turbulences, la croissance est toujours au rendez-vous.
BSCA, l’avenir s’allonge
Les milliers de passagers qui transitent chaque jour par le tarmac carolo le remarquent à peine, mais un chantier d’envergure se déroule actuellement sur le site de BSCA (Brussels South Charleroi Airport). L’unique piste de l’aéroport est en train de s’allonger de 650 mètres passant de 2 550 mètres aujourd’hui à 3 200 lors de sa mise en service prévue en 2021. Un chantier stratégique pour le deuxième aéroport belge en nombre de passagers. “Cet allongement de la piste va nous permettre d’accueillir des vols long-courriers et d’ouvrir de nouveaux horizons à l’aéroport et aux compagnies qui y sont basées”, explique Vincent GRASSA, le porte-parole de BSCA. Des vols intercontinentaux qui ont déjà décollé depuis Charleroi, comme ceux d’Air Belgium vers Hong Kong, mais qui se heurtaient à des difficultés techniques. “Les avions ne pouvaient pas décoller à pleine charge. Les distances devaient donc être raccourcies ou la capacité de chargement devait être réduite, avec la nouvelle piste ce ne sera plus le cas”.
Des passagers en plus et du cargo
Si l’allongement de la piste permettra aux compagnies déjà présentes à Charleroi de voir leur rayon d’action s’étendre, il va également donner la possibilité à l’aéroport d’héberger de nouveaux clients. Et, si rien n’est signé actuellement, des discussions sont d’ores et déjà en cours afin d’accueillir des compagnies attirées par les long-courriers, comme le confirme le porte-parole de Charleroi Airport: “Ouvrir de nouvelles lignes ou accueillir une nouvelle compagnie prend du temps. Ce sont des discussions qui peuvent s’étaler sur plusieurs mois. Mais, nous avons aujourd’hui des contacts. Et cela cadre parfaitement avec la volonté de BSCA de poursuivre sa diversification” et ainsi de s’éloigner progressivement de Ryanair, la compagnie irlandaise étant aujourd’hui encore, et de loin, le client principal de la plate-forme hainuyère. La nouvelle piste de 3 200 mètres permettra aussi aux compagnies aériennes de faire davantage de cargo. Non pas des vols 100 % cargo, apanage du voisin liégeois, mais des vols passagers complétés par des chargements de frets. Une possibilité aujourd’hui limitée par la longueur de la piste et donc par la capacité de chargement des avions.
De nouveaux services
Le deuxième défi de l’aéroport carolo, un défi presque récurrent, est celui de l’accueil des passagers. Des passagers qui sont toujours plus nombreux à prendre leur envol et/ou à atterrir à Charleroi. En 2018, ils étaient plus de 8 millions à avoir emprunté les deux terminaux de BSCA, un chiffre qui sera encore supérieur, cette année, avec une croissance attendue de l’ordre de 2 à 5 %. Des passagers toujours plus nombreux qui ont besoin d’espace et de services. Après la mise en service du terminal 2 en janvier 2017, l’aéroport poursuit l’élargissement de sa capacité d’accueil. “Nos services administratifs ont quitté le bâtiment du terminal 1 pour s’installer juste en face de l’aéroport. Un déménagement qui a permis de réaménager complètement le 3e niveau du terminal et d’offrir plus d’espace aux passagers”, explique Vincent GRASSA. Plusieurs grandes enseignes de la restauration ont donc rejoint l’aéroport cette année. Une offre de services qui faisait défaut à la plate-forme aéroportuaire carolo et qui contribuera aussi à améliorer le ranking de BSCA au sein des meilleurs aéroports internationaux. “En 2018, Charleroi s’est classé à la 14e place sur 132 aéroports analysés”, s’enthousiasme son porte-parole. Un classement établi par Air Help, société spécialisée dans les droits des passagers aériens, et qui se base sur 3 grands critères: ponctualité des vols, qualité du service, commerces et restaurants. Charleroi arrivant même en tête pour ce qui est de la ponctualité! Et prochainement, la qualité de l’accueil sera encore renforcée par la disparition de la tente où sont effectués les pré-contrôles de sécurité. Un abri installé dans la précipitation en 2015 juste après les attentats à Bruxelles et qui sera remplacé par un nouveau bâtiment.
Master plan
La croissance de l’aéroport est donc au rendez-vous et se poursuivra dans les prochaines années. Avec de nombreux challenges à la clef. Et, pour y répondre, BSCA a lancé un master plan afin de répondre aux besoins du site carolo, à l’horizon 2025, pour le court terme et 2035 pour le long terme. Un master plan qui doit envisager, notamment, le futur des infrastructures afin d’absorber un flux de passagers toujours plus important. En 2025, l’aéroport prévoit, en effet, de franchir la barre pas que symbolique des 10 millions de passagers. Un nouveau cap pour ce moteur économique wallon qui emploie 750 personnes au sein de la société BSCA, mais plus de 3 000 sur le site et plus de 6 000 en comptant les emplois indirects.
Des fleurons industriels
Si le succès de l’aéroport de Charleroi est relativement récent, l’industrie aéronautique hainuyère est, elle, profondément ancrée dans le tissu économique de la province. Un secteur qui s’est développé dans l’entre-deux-guerres, notamment déjà sur le site de ce qui était, à l’époque, l’aérodrome de Gosselies. Une aventure étroitement liée à celle du développement de la Force aérienne belge avec la création, en 1931, d’une usine à Gosselies par l’anglais FAIREY afin d’y assembler les biplans choisis par l’Armée belge. Et en 1955, c’est la SABCA qui y construira un nouveau site en bordure de la piste de l’aéroport. Une implantation spécialisée dans la maintenance et la mise à jour d’appareils militaires, avions et hélicoptères. Un site qui occupe aujourd’hui approximativement 300 personnes.
De l’Angleterre à la Wallonie
Près de 90 ans après sa création par FAIREY, l’activité aéronautique est donc toujours bien présente à Charleroi. Et si le constructeur britannique a disparu, la Sonaca a pris la relève. Une entreprise détenue par la Région wallonne et qui a su se forger une place incontournable dans le paysage aéronautique mondial, puisqu’en plus de Gosselies, la Sonaca est implantée presque partout dans le monde avec des filiales en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et en Asie. Son chiffre d’affaires atteint plus de 755 millions d’euros et le groupe emploie 4 600 employés.
Si la Sonaca est présente aux quatre coins du monde, son cœur est toujours à Gosselies où 1 600 personnes sont occupées et où est réalisée près de la moitié du chiffre d’affaires du groupe. “Nous fournissons des solutions entièrement intégrées aux problèmes les plus complexes de nos clients, de la conception à la fabrication et à l’ingénierie. Grâce à notre approche intégrée, nos clients reçoivent des produits de haute qualité, le meilleur service à la clientèle et la plus haute valeur ajoutée industrielle”, détaille le CEO de la Sonaca, Bernard DELVAUX.
Le civil et le militaire
Aujourd’hui, la Sonaca est présente dans de nombreux programmes civils et militaires. Spécialisée notamment dans la mise au point et l’assemblage d’éléments de fuselage comme les bords d’attaque d’ailes, l’entreprise carolo est ou a été impliquée dans les programmes F16 (les F16 belges et danois ont été assemblés à Gosselies), A400 M, dans ceux de plusieurs chasseurs américains ou encore des drones ou des hélicoptères comme le H60.
Mais, c’est l’aviation civile qui occupe aujourd’hui majoritairement l’entreprise avec, par exemple, d’importantes participations dans les programmes Airbus via la construction des bords d’attaque des ailes des A319, A320, A330 ou encore A350. “1 250 chipsets, lots de pièces équipant chaque avion, sont produits chaque année par la Sonaca à Gosselies”, explique le CEO du groupe.
L’inconnue F35
Le programme F16 a profondément développé le secteur aéronautique belge et wallon avec l’assemblage par la Sonaca des appareils destinés notamment à la Belgique, mais aussi la fourniture de plus de 1 300 éléments de fuselages de ce mythique avion de chasse employé un peu partout dans le monde. Un programme F16 qui a aussi profité à la SABCA, puisque c’est à Gosselies que sont, encore aujourd’hui, entretenus et mis à jour les chasseurs belges, mais aussi ceux d’autres nations y compris ceux de l’US Air Force, basés en Europe. Des contrats qui, pour certains, courent au-delà de 2020.
Mais les F16 belges seront prochainement remplacés par un nouvel avion américain, le F35. Les retombées pour le secteur aéronautique belge seront-elles aussi importantes qu’avec son prédécesseur? La réponse est assurément non. Tout simplement car la Belgique, contrairement à d’autres pays, n’a pas souhaité s’impliquer dès le début du programme F35, au contraire des Pays-Bas, par exemple, mais aussi parce que l’Union européenne ne permet plus les retours industriels comme ceux élaborés dans la cadre de la construction des F16. Les industriels belges devront donc nouer d’autres accords avec le constructeur du F35, Lockheed Martin. Des discussions qui sont en cours, comme le confirme Bernard DELVAUX, le patron de la Sonaca: “Le groupe Sonaca espère décrocher des activités industrielles en fabrication pour Lockheed Martin, même si rien n’est concrétisé à ce jour. La société Ignition!, filiale des sociétés Sonaca et SABCA, pourrait également obtenir des activités de maintenance”.
Un avion made in Belgium
Si depuis la fin de la construction des F16 belges, plus aucun avion complet n’avait été assemblé sur le sol wallon, l’histoire de l’industrie aéronautique belge a ouvert un nouveau chapitre avec le Sonaca 200, un nouvel appareil développé et assemblé par la Sonaca. “Le Sonaca 200 est un avion destiné notamment aux écoles de pilotage, qui allie robustesse, fiabilité et faibles coûts d’opération. Il est commercialisé par Sonaca Aircraft, filiale du groupe Sonaca, basée à Temploux. Sonaca Aircraft emploie actuellement une vingtaine de personnes. La montée en cadence est en cours actuellement, pour atteindre une cinquantaine d’avions par an, en 2021”, détaille le CEO. Un programme qui représente une infime part de l’activité globale du groupe mais qui permet néanmoins à l’entreprise carolorégienne de se doter d’une belle vitrine de son savoir-faire.
Plus près des étoiles
Si l’aviation civile et militaire s’octroie la plus importante part du gâteau, le spatial a lui aussi son encrage en Hainaut avec, notamment, l’entreprise Thales Alenia Space, la filiale belge du groupe français Thales. Anciennement les ACEC et ensuite ETCA, Thales Charleroi est à la pointe dans la fourniture d’éléments pour satellites, mais aussi dans les différents programmes de la fusée européenne Ariane. La majorité de l’électronique embarquée à bord de la 5e génération de la fusée est d’ailleurs made in Charleroi. Et l’entreprise est particulièrement impliquée dans Ariane 6. C’est ainsi Thales Belgium qui fournira l’ensemble de l’électronique du système de sauvegarde de la fusée. Le pilotage électronique des tuyères de la fusée sera aussi conçu à Charleroi. “Thales Alenia Space se réjouit de contribuer à l’aventure Ariane depuis plus de quarante ans. Fruit d’une collaboration gagnante entre industriels en Belgique, ce contrat est également le résultat du soutien continu de nos pouvoirs publics, tant au niveau fédéral (Belspo) qui supporte activement le développement de nouvelles technologies et de nouveaux produits, qu’au niveau régional, qui soutient la mise en œuvre de moyens innovants de production et de tests”, a déclaré Emmanuel TERRASSE, Directeur général de Thales Alenia Space en Belgique . Le premier lancement de la fusée Ariane 6 devrait à voir lieu en septembre 2020 depuis le centre spatial guyanais de Kourou.
Un important maillage d’entreprises
Si plusieurs grandes entreprises font figures de leaders du secteur aéronautique, l’écosystème wallon et hainuyer compte un grand nombre d’acteurs; du plus petit, à l’image de l’entreprise familiale Gräfe, installée à Châtelet et spécialisée dans les pièces de haute précision (cf. portrait); aux très grandes comme la Sonaca. Un maillage constitué par de grands donneurs d’ordres et par un nombre très importants de plus petites structures agissant en sous-traitance. Des entreprises qui, pour la plupart, se retrouvent dans le cluster wallon dédié aux secteurs aéronautique et aérospatial Skywin.
Skywin, fédérer les acteurs
Parmi les pôles de compétitivité initiés par la Wallonie dans la foulée du Plan Marshall, Skywin est celui axé sur le secteur aérospatial. Créé en 2006, il regroupe aujourd’hui près de 150 membres dont 115 entreprises, plusieurs universités et écoles, 10 centres de recherches et 3 centres de formations. La mission principale du pôle est la mise en place et le pilotage de projets cofinancés par la Région wallonne afin de développer les synergies entres les acteurs industriels et académiques, et de développer le secteur en Wallonie. En 2018, ce secteur a représenté un chiffre d’affaires de près de 2 milliards d’euros et 7 500 emplois directs. Des entreprises qui exportent leurs activités à hauteur de 90 %.
L’enjeu de la formation
Si le secteur est particulièrement actif en Belgique, le défi est de permettre à l’activité de se maintenir durablement sur le territoire wallon et hainuyer. Et l’un des paramètres centraux est celui de la main-d’œuvre et donc de la formation. Plusieurs institutions l’ont bien compris et ont développé au fil des ans, des parcours scolaires en adéquation avec les besoins des entreprises. C’est, par exemple, le cas de la Haute Ecole provinciale Condorcet qui propose un bachelier en aéronautique dont les cours sont dispensés à Charleroi. Une formation de 3 ans qui permet à ses diplômés de poursuivre plusieurs orientations: le pilotage d’aéronefs, la construction aéronautique et les techniques d’entretien.
Le Forem, via son centre de compétences WAN, dispense également des formations utiles au secteur dans une multitude de domaines. De la construction à la maintenance jusqu’à la formation du personnel de cabine. Des parcours de formation menés directement via le WAN ou en collaborations avec d’autres organismes ou écoles.
Un enjeu de la formation crucial pour l’avenir du secteur. Car c’est du savoir-faire et de l’expertise des entreprises, des qualités peu délocalisables, que dépend une grande part du futur de l’aéronautique hainuyer.
Aurélien LAURENT