Parfois méconnue, l’intelligence artificielle (IA) est pourtant partout autour de nous. Et ce, depuis plusieurs décennies puisque des formes primaires d’IA ont joué un rôle crucial lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais, si l’intelligence artificielle est partout, elle est néanmoins souvent invisible; ce qui n’empêche pas plusieurs acteurs hainuyers d’y investir et de faire valoir une vraie expertise dans le domaine.
L’IA: tentative de définition
Aujourd’hui encore, il n’existe pas de définition précise de l’intelligence artificielle, du moins pas de définition qui fasse l’unanimité parmi les communautés qui s’y rapportent. Au sens large, le terme désigne, en effet, indistinctement des systèmes qui sont du domaine de la pure science-fiction (les IA dites “fortes”, dotées d’une forme de conscience d’elles-mêmes) et des systèmes déjà opérationnels en capacité d’exécuter des tâches très complexes (reconnaissance de visage ou de voix, conduite de véhicule – Ces systèmes sont qualifiés d’IA “faibles” ou “modérées”).¹
Le spectre de la science-fiction
Ce mélange des genres vient perturber la perception que peut avoir le grand public de l’IA avec, notamment, la crainte, jusqu’à aujourd’hui, du ressort de la fiction, de voir apparaître des procédés intelligents sur lesquels l’humain n’aurait plus aucune prise avec, comme conséquence, la création d’une société aux mains des machines où les hommes seraient réduits à une forme d’esclavage; de la science-fiction très éloignée, heureusement, de ce qu’est aujourd’hui l’IA.
L’IA est, en réalité, une discipline jeune d’une soixantaine d’années, qui réunit des sciences, théories et techniques (notamment logique mathématique, statistiques, probabilités, neurobiologie computationnelle et informatique) et dont le but est de parvenir à faire imiter, par une machine, les capacités cognitives d’un être humain.
Pour Philippe COMPERE, Expert en intelligence artificielle au sein de Digital Wallonia, l’IA peut couvrir un spectre particulièrement large. “C’est une intelligence qui permet d’augmenter les intelligences humaines et d’aider à la solution de problèmes quotidiens ou de tâches rébarbatives et de permettre ainsi à la plus-value humaine de se concentrer sur l’essentiel et non pas sur des tâches répétitives. En quoi les algorithmes peuvent faciliter notre vie de tous les jours”.
Alan TURING et la Seconde Guerre mondiale
Après avoir connu deux périodes de fort développement (entre 1940 et 1960 puis, entre 1980 et 1990), avec, comme point de départ, la Deuxième Guerre mondiale et la course au déchiffrement des messages cryptés menée, entre autres, par Alan TURING, l’IA a connu un nouvel essor en 2010 grâce, justement, aux algorithmes dits d’apprentissage automatique. Deux facteurs sont à l’origine de ce nouvel engouement des chercheurs et des industries informatiques: l’accès à des volumes massifs des données et la découverte de la très grande efficacité des processeurs de simples cartes graphiques d’ordinateur pour accélérer le calcul des algorithmes d’apprentissage. “Sans data, sans donnée, l’IA ne peut pas fonctionner, explique Philippe COMPERE. Plus il y a de données plus l’IA sera performante”. Et l’expert wallon de citer comme exemple l’imagerie médicale: “A force d’analyser des images de cancers, aujourd’hui, on arrive à des résultats extrêmement prometteurs dans l’aide au diagnostic. Il ne s’agit pas de remplacer les médecins, loin de là, mais plutôt d’aider les médecins à poser des diagnostics plus rapidement et plus efficacement. La décision finale revient toujours, évidemment, au médecin”.
Au contraire des périodes précédentes, l’IA, aujourd’hui, ne se base pas sur de nouvelles théories mais bien sur l’exploitation de données qui n’étaient pas suffisamment disponibles dans le passé. Une exploitation massive rendue possible également par le développement d’outils toujours plus performants et accessibles.
La matière grise wallonne
Dans le développement actuel de l’IA en Wallonie, la recherche et développement occupe une place centrale. Si de nombreuses entreprises (voir plus bas) sont de près ou de loin impliquées dans l’intelligence artificielle, les universités et centres de recherches sont, eux aussi, particulièrement à la pointe. Et en Fédération Wallonie-Bruxelles, ce sont plus de 600 chercheurs qui sont aujourd’hui actifs dans l’intelligence artificielle. Avec, notamment, des projets de collaboration tout à fait inédits, à l’instar de TRAIL (TRusted AI Labs). “Lancé officiellement ce 10 septembre 2020, TRAIL a pour objectifs de mettre à disposition de l’ensemble des acteurs du tissu socio-économique l’expertise et les outils développés dans le domaine de l’intelligence artificielle par les 5 universités francophones (UCLouvain, UMONS, ULB, ULiège et UNamur) et les 4 centres de recherche agréés actifs en IA (Cenaero, CETIC, Multitel et Sirris) en partenariat avec l’Agence du Numérique et AI4Belgium”, explique Emilie FOCKEDEY de Digital Wallonia.
Un TRAIL pour l’IA
Un projet ambitieux et assez unique dans l’intensité des collaborations entre les universités et les centres de recherches. Avec 3 axes forts: la recherche et la formation de chercheurs, la mise à disposition des ressources produites et les services aux entreprises. Des axes qui se déclinent via 3 piliers:
- TRAIL Institute
A travers les universités et centres de recherche, le TRAIL Institute vise à promouvoir et intensifier l’attractivité, la formation et la rétention de talents en IA en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le TRAIL Institute vise également la recherche de pointe de niveau international en IA en Wallonie et à Bruxelles. Il regroupera doctorants, chercheurs post-docs et ingénieurs engagés sur divers financements au sein des institutions de recherche. - TRAIL Factory
Il a pour but de mettre à disposition des entreprises, services publics et chercheurs, les ressources développées par les chercheurs, issus des universités ou des centres de recherche. - TRAIL4Ventures
Vise à générer et soutenir la création de start-up innovantes et technologiques basées, d’une part, sur les besoins remontés du terrain (entreprises, services publics) et, d’autre part, sur la recherche appliquée d’excellence disponible à travers TRAIL Factory.
Le Hainaut est particulièrement bien représenté dans le projet puisque l’UMONS et les centres de recherche CETIC, Multitel et Cenaero en font partie.
“Aujourd’hui, a déclaré le Recteur DUBOIS, l’intelligence artificielle irrigue quasiment tous nos domaines de recherche. A l’UMONS, ce sont une quinzaine de services, répartis au sein de la Faculté polytechnique, de la Faculté des Sciences et de la Faculté de Psychologie et Sciences de l’Education qui utilisent et développent des techniques d’IA dans des domaines tels que l’énergie, la logistique, le multimédia, les smart cities, la santé ou encore, le smart farming”.
Plus d’une quarantaine de projets de recherche sont ainsi en cours avec de nombreux partenaires privés et plus de 100 chercheurs, post-docs et professeurs. Trois postes en IA ont été ouverts depuis 3 ans, ce qui a permis de renforcer les équipes des Faculté des Sciences et polytechnique de l’UMONS.
Une dynamique au sein de l’université hainuyère qui a débouché sur 3 nouvelles finalités de Masters en Sciences informatiques et en Sciences de l’Ingénieur afin de contribuer ainsi à l’arrivage de jeunes diplômés qualifiés sur le marché de l’emploi de demain.
Au sein de TRAIL, l’UMONS est coordinateur de 3 des 6 projets qui portent respectivement sur la réponse automatique aux questions posées sur des images, sur la détection d’objets dans des nuages de points en 3D et la navigation autonome pour les robots.
Un réseau d’expertise
Comme dans d’autres domaines, la Wallonie a développé un important maillage autour de l’intelligence artificielle. Acteurs publics, entreprises, universités, etc. Tous se retrouvent dans différentes plateformes afin de mettre en commun certaines ressources et surtout, dynamiser le développement de l’IA au sud du pays.
Le Réseau IA
Le Réseau IA est constitué de membres représentant des entreprises, des organisations, des initiatives en lien avec l’intelligence artificielle. Son objectif est d’accélérer le développement économique des entreprises et diverses organisations en Wallonie, grâce à l’intelligence artificielle. Au travers d’informations claires et pragmatiques, le réseau IA partage son expérience afin de faire profiter au plus grand nombre des avancées de l’intelligence artificielle.
Les missions principales du réseau:
- Rassembler l’expertise et clarifier l’écosystème existant autour de l’intelligence artificielle.
- Accompagner les entreprises et organisations désirant incorporer l’intelligence artificielle dans leur business en leur permettant de trouver en un endroit des experts de spécialités complémentaires (technique, juridique, fiscale, stratégique).
- Créer des synergies entre les différentes initiatives et les organismes existants.
- Centraliser différentes informations sur le thème de l’intelligence artificielle.
- Proposer un lieu de partage d’expériences entre experts du domaine afin d’augmenter la compétence et les perspectives de chacun.
- Susciter la réflexion pour définir les axes importants en matière de formation, priorités régionales, éthique en croisant l’avis d’experts aux disciplines complémentaires.
- Présenter l’offre de formation initiale et continue et définir les nouveaux besoins nécessaires au développement des entreprises.
Le programme Digital Wallonia
A travers, l’Agence du Numérique, le programme Digital Wallonia porte la stratégie numérique de la Région wallonne. Elle fixe le cadre dans lequel s’inscrivent toutes les actions du Gouvernement wallon en matière de transformation numérique de la Wallonie. La stratégie Digital Wallonia est articulée autour de 5 thèmes structurants: secteur du numérique, économie par le numérique, territoire connecté et intelligent, services publics, compétences et emploi.
Au sein du secteur du numérique, l’intelligence artificielle bénéficie d’un projet majeur: DigitalWallonia4.ai. Porté par l’Agence du Numérique, Agoria, l’Infopôle Cluster TIC et le Réseau IA, le programme “DigitalWallonia4.ai” a pour objectif principal d’accélérer l’adoption de l’intelligence artificielle en Wallonie et le développement de son écosystème wallon. Ce programme a été lancé en juillet 2019. Outre des initiatives de sensibilisation et de formation, il comprend des actions concrètes d’accompagnement des entreprises désirant incorporer l’intelligence artificielle dans leur business jusqu’au développement de prototypes.
DigitalWallonia4.ai entend donc principalement accompagner les entreprises dans l’implémentation de l’IA dans leur process. Un objectif porté par le programme qui se décline autour de 2 modules:
- Start IA
Destiné aux entreprises qui souhaitent analyser la plus-value que l’IA pourrait leur apporter, que ce soit au niveau de la production, de la maintenance, de la gestion, etc., mais aussi étudier la possibilité de proposer de nouveaux produits ou de nouveaux services. Un programme qui se traduit par un accompagnement de 3 jours effectué par un expert en intelligence artificielle.
Pour son deuxième appel à candidatures, clôturé le 30 septembre 2020, 19 entreprises ont été retenues pour bénéficier d’un accompagnement. Parmi elles, plusieurs sont implantées en Hainaut:
Institut des Radioéléments, MyData-Trust, ACIC, IT-OTPICS, V&D Experts, Editions Dupuis. - Tremplin IA
Une fois que les potentialités de l’IA sont identifiées au sein d’une entreprise, Tremplin IA doit permettre de tester les pistes évoquées.
Un troisième volet sera lancé au début de 2021 pour les entreprises qui ont dépassé le stade du test: Cap IA. “Pour les entreprises où il y a un potentiel, Cap IA doit permettre de passer à la vitesse supérieure et d’envisager l’industrialisation afin de dépasser le stade du POC (proof of concept)”, explique Philippe COMPERE.
Des formations adaptées
Afin de placer la formation en adéquation avec les évolutions toujours plus rapides de l’intelligence artificielle, plusieurs formations sont organisées notamment au sein des universités. Ainsi à l’UMONS, un certificat en intelligence artificielle est proposé par la Faculté polytechnique et la Faculté des Sciences.
Un célèbre programme de cours en ligne est désormais aussi disponible en Belgique via le programme DigitalWallonia4.ai. “Elements of AI est un cours en ligne sur l’intelligence artificielle gratuit et accessible à tous. Il a été officiellement lancé le 30 septembre et est maintenant disponible en français et en néerlandais pour tous les citoyens belges. L’Agence du Numérique est partenaire de cette initiative, au travers du programme DigitalWallonia4.ai.”, détaille Marie VANDERKELEN de l’Agence du Numérique.
Aurélien LAURENT
B2Hainaut n° 51 – Le Hainaut mise sur L’ INTELLIGENCE ARTIFICIELLE